Pop Music - Hebdomadaire
- 9 mars 1972 - N° 99
Des policiers
attirés comme des mouche par un morceau de sucre...
Manifestations ? Emeutes ? Non, rien de tout cela. Ces braves gens ne sont là que pour contenir une marée de jeunes déchaînés, venus acclamer, écouter et voir l'un de ces phénomènes dont l'Angleterre était riche il y a quelque temps. Il y a à peine un an, lorsqu'il passa au Fillmore East de New York, peu de gens savaient encore de qu'il il s'agissait. Vous avez peut-être deviné: T. Rex. Qui, aujourd'hui, ne connaît pas au moins de nom, ce groupe des plus explosifs? L'une des manifestations les plus représentatives de la T. Rexmania (eh oui! encore une) eut lieu à Boston, en Angleterre, au Gliderdrome, où se trouvaient rassemblées plus de 2000 personnes. Cette marée humaine, réduite à un état second d'extase presque mystique, se pâme à l'apparition de son dieu. Marc Bolan, vêtu d'un panty bleu et d'une veste en lamé or, surgit sur la scène et commence la litanie du groupe... Puis, un à un, les musiciens jaillissent sous les projecteurs, C'est le délire, l'apothéose, la jouissance et la satisfaction d'une attente un peu longue enfin récompensée. Et commence la succession des " Hot Love ", " Get It On " et autres " Jeepster ", qui n'ont plus besoin de faire leurs preuves. Que l'on apprécie ou non, Marc Bolan est devenu la seule vraie vedette de rock de ces années 70. Qui sont les fans de T. Rex ? Des jeunes de 14 ans en moyenne, beaucoup de filles, qui, ce jour-là, vinrent de tous les coins d'Angleterre, de Glasgow, Sheffield, Liverpool, Cardiff ...Les seuls à ne pas apprécier la situation furent... les policiers de service. Que pense Marc de la comparaison (inévitable) avec la Beatlemania ? " Eh bien! dit-il en souriant, je crois que nous avons atteint le summum de la communication avec des millions de jeunes, et cela, sans nous compromettre musicalement. " Mais il convient aujourd'hui d'essayer de mieux connaître ce personnage, cet homme qu'est Marc Bolan, afin de comprendre pourquoi tant de jeunes garçons veulent lui ressembler et tant de filles le côtoyer . Marc Feld naquit à Hackney, il y a 25 ans, dans un milieu des plus modestes. Sa mère tenait un étalage de fruits au marché de Barwick Street, et, à l'âge de cinq ans, Marc l'aidait dans la vente à la criée. Dès cette époque, il enregistre tout ce qu i se passe autour de lui, la chaleur, les couleurs chatoyantes et les sons de ce marché populaire. |
A 12 ans, le jeune Marc vit à Stanford Hill et fréquente une troupe de " mods ", ces jeunes blousons noirs anglais. " Mais, précise-t-il, ce n'était pas des amis. Je ne ressentais pas vraiment le besoin d’avoir des amis. Je lisais beaucoup et les livres étaient mes compagnons les plus précieux. Je crois que j'étais très solitaire. " Il établit d'ailleurs, à cet égard, une étrange comparaison : " Quand j'étais gamin, j'avais 40 costumes, mais aucun ami. " Ces jeunes se trouvaient tous dans une situation semblable: âgés d'une vingtaine d'années (beaucoup plus vieux que Marc), pour la plupart juifs et sans travail. Lui, qui vivait chez ses parents, les enviait: " Quand je rentrais chez moi, le soir, je priais pour devenir à mon tour un " mod ". A 13 ans, Marc présentait tous les signes extérieurs du dandy, non sans une pointe de narcissisme. Il garda toujours en lui le sentiment qu'il possédait de quoi devenir une super-vedette. Sa jeunesse fut marquée par des séjours plus ou moins longs dans différentes écoles. A quatorze ans et demi, il fut renvoyé définitivement du collège de Wimbledon pour truandage, et ce, malgré des dons prononcés pour l'art et l'histoire. Si l'école ne le satisfit pas, c'est parce que l'on n'y répondait pas aux questions qui l'intéressaient, questions relatives à la vie elle-même. Le voici donc versé dans la société, élément improductif mais personnage aux multiples facettes, déjà mûri par une vie irrégulière. Pour subvenir à ses besoins matériels, Marc se met à la " vente " de disques. Sa tactique était élémentaire: il se rendait chez un disquaire et, en même temps qu'il achetait un disque, en volait quelques autres pour aller les revendre ensuite à un disquaire d'une ville voisine. Il fut ensuite barman au " Two I's " (fameux bar situé dans le quartier de Soho) où il rencontra des gens inconnus à l'époque, mais qui, par la suite, devinrent des célébrités. " Je me souviens, raconte-t-il, de Cliff Richard, quand il s'appelait encore Harry Webb. " Il n'y eut pas un instant de sa vie où il ne fût attiré par tout ce qui touchait à la musique. Ses idoles, Eddie Cochran, Ca.rl Perkins, Elvis et même Lonnie Donegan (célèbre chanteur- guitariste de skiffle d'il y a une dizaine d'années), il n'avait qu'une envie: les imiter. Son enthousiasme pour la musique était tel qu'il fabriqua sa propre guitare, avec une caisse à oranges et des élastiques !...II improvisait des fantaisies, s'imaginant sous les traits d'une vedette pop. Il poussa la rêverie plus avant dans la réalité et joua dans les rues avec deux de ses voisins, formant le trio Suzy and the Hoola Hoops. Suzy n'était autre que celle qui | devint plus
tard très célèbre sous le nom d' Helen Shapiro, et le
troisième membre de ce petit groupe se nommait Stephen
Gould. Puis ses revenus devinrent plus légaux ,et
aussi plus lucratifs.
Un de ses amis le fit embaucher comme mannequin chez John Temple. A la recherche de quelque chose qu'il ne pouvait définir lui-même, Marc quitta l'Angleterre pour la France. A Paris, il rencontra un homme qui devait beaucoup l'influencer et qui l'hébergea dans son château. Cet homme, magicien, l'initia aux secrets de son art et du mystère. " La magie, dit Marc, n'est pas accessible à tout le monde. Par exemple, tous les individus ont des doigts, et donc, n'importe qui devrait être capable de jouer de la guitare. Et pourtant, ce n'est pas le cas. Pour la magie, c'est exactement la même chose. " Il déclare volontiers avoir appris les bases de la guitare en un jour, améliorant ensuite son jeu au contact d'Eric Clapton qu'il connut bien et dont il s'inspira. Certains de ses copains, qui faisaient partie de la Troupe Théâtrale Nationale, lui proposèrent un emploi. Il interpréta donc différents petits rôles, mais ce n'était pas là ce qu'il recherchait. Le véritable départ de sa carrière musicale se situe en 1965 et est marqué par la rencontre de John Economides. Marc a 17 ans. Il signe un contrat avec Decca et sort un premier simple, " The Wizard " (où se perçoit l'influence de Bob Dylan) sous le nom de Marc Bowland, homonyme choisi par cette firme. Ce disque ne donnant aucun résultat, il se joint au groupe professionnel John's Children. " Si je suis rentré dans cette formation, explique-t-il, ce n'était qu'en remplacement du guitariste. Les musiciens cherchaient quelqu'un d'un peu poète, qui joue du rock, en résumé, quelqu'un du genre de Pete Townshend. Et je crois que je fus vraiment leur Pete Townshend. " Dès ses débuts, Marc se situait aux côtés de Dylan et de Townshend. Il connaissait bien ce dernier pour l'avoir entendu jouer, l'avoir vu, avoir lui-même joué avec lui, et, ajoute-t-il : " Je sais que je suis aussi bon que lui, et lui le sait également. " En 1967, il enregistre " Desdemona " avec John's Children qu'il quittera au bout de trois mois. " Pour être honnête, dit-il, j'ai quitté ce groupe car je sentais que je ne pourrais pas y avoir une influence prépondérante, ce dont je ne pouvais m'accommoder. " Décidé à réaliser ce qui lui tenait à coeur depuis longtemps, Marc Bolan forme Tyrannosaurus Rex, placé entièrement sous sa dépendance. Pourquoi alors ne pas avoir choisi la voie de chanteur? Tout simplement parce qu'il avait besoin de s'inscrire dans un |
groupe. " Mais
cela ne diminue en rien les autres musiciens. Au
contraire. " Et ce fut le grand départ. Tyrannosaurus
Rex se présenta d'abord dans la formule du duo "
acoustique " avec Steve Took. Ce fut pour Marc
la concrétisation de ses espérances, l'idéal que
John's Children ne lui avaient pas procuré. Le nom
même de Tyrannosaurus Rex reflète toute sa croyance en
l'aventure. Le tyrannosaure fut le carnivore le plus
effroyable, le destructeur le plus redoutable que la
terre ait jamais porté, et qui vécut il y a quelque
150.000.000 d'années. La description qu'en fait Ray
Bradbury dans son livre " Golden Apples Of The Sun "
influença beaucoup son choix. Après quelques
difficultés avec leur maison de disques, Bolan et Took
signèrent un contrat avec les éditions Straight Ahead.
Celles-ci produisirent, avec Tony Visconti (arrangeur
de T. Rex), trois albums: " My People Were Fair And
Had Sky In Their Hair, But Now They're Content To Wear
Stars On Their Brows ", " Prophets, Seers And Sages,
The Angels Of The Ages " et " Unicorn ". En 1969, Marc
et Steve se
séparèrent après une tournée américaine. " Nous
voulions nous reposer un peu, et nous ne nous sommes
plus revus. ![]() Ce fut alors la rencontre devenue légendaire de Marc avec Mickey Finn (joueur de bongos, congas, percussions, danseur et bien plus...) dans un restaurant londonien. L'agressivité qu'il portait en lui, Marc en fit profiter les téléspectateurs britanniques. " N'oubliez jamais, dit-il très sérieusement, que " Ride A White Swan " se classa numéro 30 dans les hit-parades après seulement deux passages en radio! A la suite de cela, nous sommes passés à la télé, et les gens ont apprécié ce qu'ils ont vu. " " Ride A White Swan " servit de lien entre les chansons/poèmes de Tyrannosaurus Rex et le style que Marc voulait imposer avec T. Rex (nom abrégé pour en faciliter la prononciation). Les textes s'apparentaient à ceux de " One Inch Rock " et " Woodland Bop ", premières compositions de Bolan. Là se situe le véritable départ de la T. Rexmania. Les critiques et les journalistes s'en , donnèrent à coeur joie, bien que Bolan s'ouvrît assez peu à la presse. |
Il n'accepte
que les remarques ou conseils de son arrangeur, Tony
Visconti, qu'il tient pour un " grand homme ". C'est
d'ailleurs à ce dernier qu'il doit d'avoir accordé une
importance plus grande à l'arrangement musical et au
jeu de scène. Car T. Rex est un groupe de scène, une
bête de scène, pourrait-on presque dire, qui sait
captiver les jeunes, les envoûter et les transporter
aux portes de l'irréel.
Au fur et à mesure qu'il s'acheminait vers les sommets des classements, Marc, qui vivait un peu isolé dans son monde peuplé de mythes et de légendes, s'intéressa à la musique jouée autour de lui. Il devint très perméable aux influences extérieures. Quand le succès de " Ride A White Swan " s'estompa, Bolan et Finn enregistrèrent " Hot Love ", pour lequel ils avaient engagé un batteur, Bill Legend. Le jeune public anglais attendait un nouveau phénomène musical. Après Elton John, les Faces, les Beatles, les Who, la place restait vacante. Cette place, T. Rex va l'occuper. En avril 1970, quand " Hot Love " se classa numéro 1, T. Rex s'apprêtait à partir aux Etats-Unis. Marc décida alors de s'adjoindre deux musiciens, Steve Currie (jeune bassiste auparavant chauffeur de camion) et Bill Legend, déjà présent dans " Hot Love ". La Côte Est constituait un nouveau marché qu'il fallait conquérir. Ce fut facile, car les Américains n'ont pas d'idées préconçues à l'égard de la pop music. Quant à la Côte Ouest, la réputation de T. Rex n'y était plus à faire. Actuellement, le dernier album du groupe, " Electric Warrior " , atteint le sommet des hit-parades dans tous les Etats visités. " En Angleterre, nous n'avons pas atteint la popularité dont nous jouissons en Amérique. Mais on peut être une idole dans un pays et totalement inconnu dans un autre. C'est le destin. A son tour en Grande-Bretagne, T. Rex entreprit une tournée aux Jardins d'Hiver de Bournemouth. Ce fut l'émeute. Currie et Legend en furent d'abord un peu terrifiés, puis ils s'habituèrent vite à ces manifestations d'enthousiasme explosif. Mais les filles qui se jettent à ses pieds, celles qui se battent pour le toucher, celles des boutiques de la fameuse Carnaby Street qui, sans arrêt, passent " Electric Warrior " , Marc essaie de leur échapper. Il lutte aussi contre ceux qui ne voient en lui qu'un gaillard déluré plutôt qu'un musicien. Il se battra jusqu'au bout, mais pas seul. Son plus grand ami, collaborateur et soutien, il l'a trouvé en June, qu'il a épousée voici deux ans. June déborde d'activité: elle conduit la Rolls blanche (car Marc n'a pas son permis), s'occupe des " affaires " de son mari, prend des rendez-vous, contacte les publicistes... Elle est aussi le correcteur des poèmes de Marc, destinés à l'édition. Car Marc est aussi poète. |
Au-delà de T.
Rex, il publie des recueils qui se vendent bien. Bien
sûr, ses écrits laissent transparaître sa foi dans le
surnaturel, mais aussi une certaine philosophie de la
vie. Son dernier livre, " Recollections " (qui
devrait paraître bientôt), Marc dit l'avoir écrit
d'après des souvenirs (comme le titre l'indique) d'une
vie antérieure. " Ceci est totalement inconcevable,
explique-t-il, à moins de croire à une autre vie après
la mort. Quand j'ai relu ce que j'avais écrit, je me
suis senti comme un vieil homme. Ce n'étais pas moi...
"
Marc se plaît à être " scandaleux " sur scène dans le but de se satisfaire personnellement. " Je vis très bien avec mon image, dit-il, parce qu'elle représente ce que je suis réellement. Quand je me vois sur le petit écran, j'éclate de rire! " Rire de soi-même, qualité essentielle qu'il est bon de posséder lorsqu'on est une grande vedette. A l'automne 71, la T. Rexmania atteint des proportions inimaginables. " Get It On " , sorti le 2 juillet, se plaça dans les hit-parades quelques jours plus tard; l'album " Electric Warrior ", mis sur le marché le 24 septembre, se classa numéro 4 en un temps record.
Même le Marc Feld un peu froussard avait prévu, dans ses rêves sauvages d'enfant espiègle, de voir son visage sur les couvertures des magazines et ses idées devenir le sujet de nombreuses discussions. Il lui faut une grande force de caractère pour résister à l'euphorie du succès et vivre avec la certitude qu'un jour, tout s'éteindra. Mais Bolan, lui, survivra. Il refuse de s'installer dans une position de sécurité et ne se repose pas sur sa gloire pourtant longtemps convoitée. L'écolier en quête de réponses vit encore en lui, projetant toujours plus loin l'accomplissement de soi. C'est là que réside la clé de son succès. " Qui sait, dit-il, peut-être que l'année prochaine, je serai metteur en scène... " Son influence s'exercera très certainement sur les auditeurs d'aujourd'hui qui seront les musiciens de demain. |
Quelques avis d'autres musiciens
PAUL MC CARTNEY. -" T. Rex prend la succession des Beatles et symbolise une nouvelle génération... "
KEITH MOON. -" C'est un bonhomme. Pour être franc, je ne vois aucun mal à ce que quelqu'un écrive pour le plaisir ...et c'est précisément ce que fait Marc. "
ELTON JOHN. -Il faut préciser qu'Elton John est le seul musicien extérieur à T. Rex qui soit apparu en public avec Bolan. Il croit aussi fermement que lui au rock and roll. Elton se rappelle l'avoir traité de " petit prétentieux ". " Il s'en souvient lui aussi, dit-il, Marc est arrivé dans le monde musical anglais, comme un boulet de canon. Il a réveillé le public... Mais il aime ce qu'il fait, et c'est très important. Je préfèrerais avoir dix disques de Marc plutôt qu'un seul de James Taylor. Cette année sera l'année T. Rex, non seulement en Angleterre, mais partout ailleurs; aux Etats-Unis, par exemple. "
JIMI HENDRIX. -Hendrix lui avait dit: " Tu deviendras quelqu'un. "
T. REX
SP T. REX 7868
Telegram Sam -Cadillac.
Le premier disque de T. Rex sur sa propre compagnie, T. Rex Records, . vient enfin d'être publié en France et ce au moment même où il redescend les échelons du hit-parade anglais après plusieurs semaines à la première place.
Le succès des deux faces est assuré. La recette de Marc Bolan continue à faire ses preuves: même son de guitare, même rythme... Il n'y a pas de raisons pour que ce disque ne soit pas un tube. Au fait, pourquoi ne se décide-t-on pas à mettre une jolie photo du groupe, et de Bolan en particulier, sur la pochette ?
R.A.
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