L'IDOLE BRISEE


photo © Patrick JELIN - EMI                                      MARC BOLAN

Fracas de tôle écrasée

Marc Bolan avait du coeur. Heureusement, car il aurait bien pu mourir une seconde fois, rien qu'en jetant un oeil sur la première page du « Melody Maker», quelques jours après l'accident fatal : «Adieu Marc »,en petit et en bas, et en encore plus minuscules caractères :«Voir page 39 ». Page 39 !

Alors ils ont oublié toutes ces couvertures sensationnelles lorsque T. Rex régnait ? On s'explique mal, dans le cas contraire, à quoi peuvent servir les trente-huit premières pages. Ces gens-là ont porté Bolan de toutes leurs forces sur le pavois, et voilà qu'encore tiède, sa dépouille ne mérite pas plus d'égards que celle d'un Tommy Bolin. Ils ont fait un autre foin pour les obsèques d'Elvis. Leur hit-parade en témoigne. Peut-être ne faut-il pas chercher plus loin : les chansons de T. Rex seront sans doute beaucoup plus discrètes. Pauvre petit Marc, ils ont fait de toi une toupie, ils t'ont fait tourner, et maintenant que tu es bien cassé ils t'abandonnent. Déjà, ils se moquaient de toi quand tu étais voilé, si par hasard ils daignaient jouer avec toi. Et pourtant... Pourtant, tu nous a donné du plaisir, petit Marc, tous ces mois où tu tournoyais là-haut, tout en haut sur le sommet. Même que tu planais sérieusement à la fin, tellement que tu as bientôt glissé, puis vite, vite chuté, et qu'à cause de ce premier pépin, le second n'a plus surpris ni peiné tous ces garçons et toutes ces filles qui t'adoraient avant.

Avaient-ils déjà emporté « Hot Love », « Get It On » et « Telegram Sam » avec leur puberté ?

Et ton génie avec leur grâce ? Mais tout cela se mêlait complètement, n'est-ce pas ? O.K., mais tout cela faisait du bien super petit rock'n'roll, et pour ça. Petit Marc, dansons, dansons et sautons comme tu nous y incitais si fort.

D'ailleurs, tu sais, ils t'ont baptisé parrain du punk, lorsqu'ils n'ont plus su sur quel ton traiter tes efforts. Tu n'étais pas le seul, remarque, ils appelaient ainsi Iggy, et Lou, et David, ton vieil ami. Et je ne sais qui encore... Mais ils ont ricané quand tu as emmené les Damned avec toi pour ta dernière tournée. Ils se moquaient de toi comme leurs aînés ont toujours si bêtement brocardé les cent « comeback » de Mickey Rooney.

Mark Feld ne devint Marc Bolan qu'à dix-neuf ans. Lorsqu'au retour d'un long séjour en France il se piqua soudain d'ajouter la musique à sa première passion, la poésie. C'était en 1966, et Decca le signa avec un groupe, the Wizard, transformé peu après en John's Children, sans doute le tout premier glamrock Anglais. Ils ont obtenu deux petits hits avec Bolan. Puis celui-ci s'en est allé. Dégoûté de l'électricité à la suite de déboires divers, Marc forma un duo acoustique avec le percussionniste Steve Took, du nom bizarre de Tyrannosaurus Rex, en 68, lequel, malgré une existence terriblement précaire et grâce au soutien d'un noyau de fanatiques absolus, publia trois superbes albums (« My People Were Fair & Had Sky In Their Hair But Now They're Content To Wear Stars On Their Brows », « Prophets, Seers And Sages. The Angels Of The Ages » et « Unicorn », chez Régal Zonophone). A la suite de quoi, Steve Took laissa la place à Micky Finn pour mieux se consacrer à son engagement politique. Bolan, du coup, vint au rock, mais doucement. Ce n'est qu'à la fin de l'année 70 que les choses évoluèrent brusquement. Tyrannosaurus Rex se tassa en T. Rex, et la musique se ramassa en singles : « Ride A White Swan » et un album, «T. Rex», parurent simultanément, et à la grande surprise de Bolan et des siens firent aussitôt un malheur dans les hitparades.

Un vrai malheur. Alors Marc, confortablement épaulé, éberlué, ravi, battit le fer brûlant : «  Hot Love », puis « Get It On», en 71 trustèrent le numéro 1 des mois durant, tandis que « Electric Warrior » faisait de même, catégorie albums.

Qu'y avait-il dans tout ça ? Vous ne pouvez pas l'ignorer, même si vous n'avez soufflé vos seize bougies qu'hier : tout le monde connaît T. Rex, ce petit rock épileptique, chevrotant comme un Donovan en folie, sautillant, aguicheur et (surtout)sexy.

« Electric Warrior » est un très bon disque, encore maintenant, le meilleur en tout cas de la Rexmania, car, de 71 à 73 (jusqu'à Bowie), l'Angleterre ne vivait plus que pour les cris, les hanches et les frétillements de Marc Bolan. Les hits se succédaient («Jeepster», «Telegram Sam ». « Métal Guru »...) à un rythme effréné, les albums aussi («Slider». «Tanx»), et c'est sans doute à cause de cette précipitation insensée que Bolan, ivre, usé, lassa petit à petit.

Les jeux de hasard du show biz

La chaleur retomba, irrémédiablement, et l'impressionnant chapelet des singles publiés par T. Rex de 74 à nos jours ne rencontrera plus qu'un accueil de moins en moins digne de la grande époque pour finir dans une quasi-indifférence, dérisoire et humiliante. La tète gonflée par son succès. Bolan se mit à boire, à grossir, à se gaver d'ersatz. Vieille rengaine. Mais ses refrains, qui s'en ressentaient chaque jour davantage, ne lui servirent de rien pour conquérir l'Amérique. Il en réchappa déprimé, à moitié ruiné et malade. Et ceux qui la veille se prosternaient à ses pieds lui tournaient le dos dans les parties, si jamais il y était encore convié : il était devenu le has-been imprésentable. L'histoire, à peu de mois et de réflexes près, aurait pu ajouter une victime supplémentaire

Photo © Christian ROSE                                             MARC BOLAN



à l'éternelle routine des jeux de hasard du show-biz. Seulement voilà. Marc Bolan, star ou non, n'était pas n'importe quel pantin, braillard ou desséché. Sa poésie, son énergie, son culot et sa drôle de voix, tout cela demeurait, sinon intact, du moins bien vivant. Il suffisait de rassembler ses forces, de restructurer sa tête, d'accepter un brin de maturité, et de foncer. Il en était largement capable, ses amis le clamaient, parmi lesquels David Bowie, qui, lui, ne l'a jamais boudé, et quelques journalistes.

Et Bolan commençait juste à le prouver lorsque...

C'est vrai, le sort lui a cruellement présenté l'addition, au petit Marc. Il ne conduisait pas, il ne buvait plus, il s'était remarié avec la ravissante chanteuse noire Gloria Jones, il était de nouveau bourré d'idées et d'allant lorsqu'une voiture traversa le périphérique de Londres pour heurter celle sur le

siège arrière de laquelle il sommeillait, retour de dîner. Et les frémissements d'une guitare secouée de pulsions vitales se sont tus dans le fracas de la tôle écrasée.

C'était le 17 septembre de cette année. Deux jours plus tard, on put voir à la télé un Bolan régénéré offrir le contrepoint à Bowie pour une version rock de « Duellistes » : tout à fait normalement, et dans les délais, la chaîne Granada diffusait la dernière émission d'une série de six consacrées à Marc Bolan et à ses amis, dont les Jam et les Damned. Lesquels n'ont pas manqué de saluer leur aîné ainsi qu'il convient : en lui dédiant leurs concerts, en assistant à ses obsèques (Damned) sous la pluie, aux côtés de Bowie. Et les punks ne font pas cela pour les vieilles croûtes. Maintenant, petit Marc, cours en paix. Tu n'es pas mon pour quelques lignes dans les journaux.

Courrier des lecteurs

Le cœur a ses raisons…

Dans « Télégrammes » du mois d’octobre, une ligne : «Marc Bolan tué en voiture le 16 septembre.» un mois avant Presley s’en allait et, actualité oblige, il occupait couverture et maintes pages de ce numéro. En un mot, la mort d’Elvis ne me touche pas et le fait que Bolan se taise aujourd’hui me remplit de tristesse. Le cœur a ses raisons…

Il faut dire que Marc Bolan est autre chose pour moi, bien autre chose que la vilaine star invivable et médiocre musicien que la presse s’est complu à dépeindre. En 1972, j’avais treize ans et et j’achetais les simples de T.Rex qui partout triomphait et provoquait l’hystérie. Remember « Get It On », « Telegram Sam ». Tout en trouvant fascinante l’irrésistible flambée du groupe dans le cœur des petites filles et des petits garçons, dont j’étais, je ne laissais pas d’avoir peur de cette relêve qui sûrement allait engloutir le groupe, tout en perçant à jour ses imperfections : Bowie, A. Cooper, etc… T.Rex inventait la décadence et la caricaturait d’avance. Les impressions d’un plaisir éphémère mais total auront été effacées par une autre vague de stars dont le propos déjà était autre. Bolan, dès lors, se trouva projetté dans les oubliettes de l’histoire, pathétique héros mythologique de troisième ordre.

T.Rex n’était certes musicalement pas parfait. Un son bubblegum à souhait, et parfois, presque involontairement, au milieu de tant d’outrances et de grimaces, une plongée dans la beauté et l’émerveillement. Comme dans ce premier album inconnu du groupe où guitares, percussions et harmonies vocales tissent une musique sobre proche du conte de fée, appelée pourtant à répondre à la sensualité manifeste de teenagers en mal d’hystérie collective.

Et puis, dans ma pile d’albums, il y a deux disques, très beaux, d’un duo au nom magique et porteur d’images : Tyrannosaurus Rex. « Prophets » et «A Beard Of Stars » sont deux joyaux inqualifiables quant au style et incomparables quant à la beauté. Une sorte de Folk sublime de la vie intérieure (le premier album bannissait l’électricité et multipliait les percussions sans baguettes). Une musique écrite dans quelque coin de l’inconscient à laquelle on adhère pleinement avant qu’elle ne nous échappe. Le son rappelle quelque chose, mais qui ? quoi ? Bolan chante bien des textes beaux sur une musique pleinement originale mais sans technologie. Tyrannosaurus Rex, pâle, étrange, antique et gracieux comme les statues sur les pochettes, peut-être l’annonciateur du premier album, trois ans plus tard, d’Halfnelson.

Bolan était un poète, un chanteur talentueux, et on l’a fourgué dans un rôle de diva étouffant et à la longue inassumable sans danger.

J’ai vu pour la dernière fois Bolan en février de cette année. T.Rex new look donnait un concert à Toulouse. Peu ou pas de frime, si magnifique à la grande époque. Le groupe jouait très heavy metal devant 800 personnes apathiques qui feront un peu plus tard un triomphe à… Higelin ( ?). Bolan, costume jaune, mince, fatigué, se forçait vers les sommets d’une hystérie morte. Il s’est pourtant donné devant ce public indifférent, clairsemé de quelques fidèles. Voilà : une star adulée, puis déchue, et puis un petit homme à la chevelure bouclée qui est secondaire et qui est mort. Et je suis triste.

Alain Delasalle (& Poupou)

P.S. j’ai passé l’été à chercher le « Dandy In The Underworld ». En vain.

 



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