Best

N° 9, avril 1969    

Le fac-similé de Best 9 a été publié dans Jukebox magazine 329 , mai 2014

 
     
     
N° 10, mai 1969    

Marc Bolan du Tyrannosaurus Rex est certainement la personne la plus sincère que j'ai jamais rencontrée. Il arriva pourtant à notre rendez-vous avec 20 minutes de retard! La raison? « Je viens de terminer une séance de photos avec Steve Took (le deuxième Rex) et me suis trouvé retardé par les embouteillages. Mais je suis prêt à tout pour me faire pardonner. » Bien sûr, je ne me le fis pas redire deux fois et sautai sur l'occasion pour le «traquer» avec mes questions.

« Marc, Tyrannosaurus Rex est un nom bien étrange pour un groupe. Qui en a eu l'idée?

Je l'ai choisi moi-même. Tyrannosaurus est un animal préhistorique. Il y a deux ans, lors de la projection d'un film sur les animaux, ce monstre m'avait vraiment étonné. J'ai pensé que cela pourrait être une bonne idée pour un nom de groupe.
- Parlez-moi de votre groupe?
- Au début de l'année dernière je faisais partie de John's Children. Je les ai quittés après l'enregistrement de « Desdemona » et Steve s'est joint à moi. Nous tenons à être considérés comme un groupe et non comme un duo.
Les œuvres de charité tiennent une place très importante dans notre carrière. Plus d'une fois, nous nous sommes produits gratuitement à Hyde Park. Jusqu'à présent, en dehors de nombreuses tournées en Angleterre, nous n'avons joué qu'aux Etats-Unis.

- Comment et pourquoi en êtes vous venus à enregistrer des disques?

- J'écris des vers depuis mon enfance. De la poésie au disque il n'y a qu'un pas. Et nous enregistrons parce que nous aimons chanter mais les autres aspects du « Pop business » ne nous concernent absolument pas. Rien ne m'intéresse à part composer.
- Et où puisez-vous vos idées?
- Le Rock and Roll depuis ses origines, c'est-à-dire 1958, exerce une très grande influence sur moi. J'aime tous les genres de musique tant qu'il s'agit de bonne musique. J'attache de l'importance à ce que je fais et les mots que j'écris signifient quelque chose. Mes chansons sont des poèmes et, évidemment, on ne les passe jamais sur l'antenne.
- Pourquoi?
- Parce qu'elles ne sont pas commerciales, Comparez notre musique à une image. Celle-ci constitue le reflet de nous-même. Nous aimons la vérité et ne pouvons supporter d'être présentés sous un faux jour. Pour cela nous tenons à rencontrer les personnes qui assistent à nos concerts et à parler
avec elles. Du fait que mes chansons possèdent un sens profond, ceux qui achètent nos disques sont intelligents puisqu'ils attachent une importance particulière aux mots et pas seulement au rythme. Notre audience se situe entre 18 et 25 ans et comprend beaucoup d'étudiants.
- Quel programme présentez vous à ces étudiants?

- Avant un concert nous ne savons jamais exactement ce que nous allons jouer. Tout dépend de l'atmosphère. Je chante, joue de la guitare et de l'orgue. Steve m'accompagne à la batterie. Il possède toutes sortes de batteries, bongos et même un pixiephone. Nous ne donnons que des concerts. Pour les organisateurs de tournées, il s'avère difficile sinon impossible de trouver quelqu'un pour partager l'affiche avec nous.
- Alors comment faites-vous?
- S'il nous faut une première partie nous faisons appel à des amis tels que David Bowie, un mime et John Peel.
-John Peel?
- John est la seule personne à passer notre 33 t. dans son émission Top Gear.
- Quel 33 tours?
-« Profits Seers and Sages, the Angels of the Ages. » Il comprend 14 chansons originales. Le prochain album « Unicorn », sortira en
mai lors de notre tournée aux Etats-Unis.
- Pourquoi tenez-vous tellement à vous produire en Amérique?

- En Angleterre le groupe a acquis une certaine réputation et le marché est saturé. Donc, nous nous penchons vers les Etats-Unis.
Une tournée de 20 jours en Angleterre, plusieurs télévisions en Scandinavie et peut-être aussi sur le continent sont également prévus au programme.


- Vous semblez particulièrement occupé. Trouvez-vous du temps à consacrer à vos loisirs ?

- Bien sûr. Je passe beaucoup de temps à lire et écrire des poèmes.
Mon premier recueil « The Warlock of love », vient de paraître et il comprend 70 pages. J'écoute aussi des disques.
- De quels groupes?
- Des Beatles... Beach Boys, Country Joe and the Fish.
- Et Steve?
- Il préfère les Pink Floyd mais passe plutôt son temps à acheter des vêtements. Il est si jeune.
-Ah?
- Oui, il a 19 ans
- Et vous?
- 21. Connaissez-vous mon ambition ?
-Non ?
- Essayer chaque année de devenir un peu plus intelligent et de rendre heureux les gens qui m'entourent.
- Voulez-vous me faire plaisir?
- Bien sûr!
- J'aimerais que vous m'écriviez un poème.»
Il prend mon stylo et écrit. ..



« Voilà. Pour les lecteurs de « Best ». Ce sont les quatre premiers vers de « One inch rock »,
Puis Marc se lève. Un grand sourire éclaire son visage entouré de boucles noires. Avec lui il emporte un monde dominé par la poésie, son monde à lui.


Nickie Melot


Le fac-similé de Best 10 a été publié dans Best Of Best (ISBN 9782859208332 ℗2010) et Jukebox magazine 331 et 333 , juillet et septembre 2014

   

 
N° 11bis, juin 1969    

Le fac-similé de Best 11bis  a été publié dans  Jukebox magazine 334, octobre 2014

 
N°31, février 19'71    

 

   

 

 

 
     

Pierre Jahiel : Content d'être en France?

T. Rex: - Oui, mais c'est uniquement pour une télé. C'est dommage, d'ailleurs, nous aurions beaucoup aimé donner un vrai concert. Mais comme personne ne nous l'a demandé...

P. J.: - Parlez-moi du dernier album, T.Rex?

T. R.: - Eh bien, au début, j'avais peur que ce soit un énorme bide. J'entends par là que je n'étais pas du tout sûr que cet album soit bien représentatif de la musique que nous jouons et je craignais que les gens ne se méprennent sur nous. Finalement, petit à petit, je me suis rendu compte que c'était tout le contraire, et je suis maintenant certain que nous n'aurions vraiment pas pu faire mieux. Je ne veux pas dire par là qu'il soit d'une qualité musicale extraordinaire, mais au moins il est à notre image ...

Vous savez, tout le monde a en soi quelque chose d'exceptionnel, le tout est de savoir le montrer. Personnellement, ça fait deux ans que j'essaie de montrer au public à? quel point je sors de l'ordinaire, et je vous assure que ce n'est pas facile.

Il ne faut pas non plus tomber dans l'excès contraire, dans l'exhibitionnisme. C'est pour ça que j'aime l'album de Lennon. Parce que toutes ses faiblesses, ses problèmes, et ses ambitions y sont représentés, traduits musicalement. Je ne veux pas juger l'album; je vous dis simplement que ce genre de choses agit sur moi en profondeur.

P. J.: - Qui d'autre aimez-vous à part Lennon?

T. R. : - J'adore Clapton; Hendrix. En fait, je n'ai pas de goûts très précis. J'écoute n'importe quoi, si c'est bon je reste, si c'est mauvais je pars. Je n'ai pas un son favori. Chez moi, c'est une question d'émotion. II existe de très bons guitaristes comme McLaughlin ou Coryell, qui peuvent faire tout ce qu'ils veulent avec une guitare, sans que ça me touche une seule seconde. Par contre, quand j'écoute un disque qui provoque chez moi une sensation, alors, à ce moment-là, j'ai vraiment l'impression d'apprendre quelque chose, vous comprenez? Et ça, rien ne peut le remplacer. Le Jazz, c'est peut-être très bien, mais moi, je m'en fous. J'aime bien Miles Davis, mais je n'achèterai pas un disque de lui.

P. J.: - Mais vous n'écoutez jamais un disque uniquement pour votre plaisir?

T. R.: - Si, mais mon plaisir c'est d'apprendre, voilà tout. Je n'ai pas le temps matériel de faire des choses qui ne m'apportent rien. Or, il n'y a rien dans le jazz que je puisse tirer et mettre dans ma tête pour l'utiliser. Du point de vue émotionnel, les jazzmen sont des étrangers; des extra-terrestres qui me dépassent de très loin. Je n'y suis pas encore préparé. Quand je dis apprendre; je ne parle pas de nouvelles techniques, de nouveaux sons que je pourrai imiter. Alvin Lee pourrait jouer pendant vingt minutes des millions de notes tout en buvant son café, ça serait peut-être une performance, mais ça ne m'atteindrait pas le moins du monde, D'ailleurs. chaque fois que je l'écoute, j'ai l'impression d'entendre une bande magnétique accélérée, Par contre, un gosse de 8 ans qui touche pour la première fois une guitare peut me défoncer complètement, De toutes façons, Alvin Lee est célèbre parce qu'Il est beau. C'est ce qu'il faut de nos jours pour avoir du succès: être beau et travailler correctement. Je ne veux pas dire par là que je suis meilleur que lui, loin de là; mais de nos jours, il y a tellement de guitaristes « honnêtes », que le seul moyen de s'échapper du peloton est d'utiliser des éléments extérieurs: la beauté, le jeu de scène, etc.

En fait, c'est regrettable pour lui d'être aussi beau, parce que les gens l'aiment pour sa tête, alors que c'est un bon guitariste: il fait tès bien ce qu'II veut faire et croyez-moi tout le monde ne peut pas en dire autant.

P. J_: -:- Mais alors, qu'est-ce qu'un très très bon guitariste?

T. R.: - Un vrai bon guitariste est celui qui sent exactement ce qu'Il va jouer avant de prendre sa guitare, sans pour ça l'avoir soigneusement préparé, sans que personne, ne lui ait dit que faire.

P. J.: - Alors, citez-moi un guitariste vraiment exceptionnel?

T:R.: - Je dis Hendrix, tout de suite. Vous connaissez «Are Vou Experienced »? Dès ce disque, Hendrix a atteint la vraie perfection et il n'a jamais cessé depuis. C'est un type qui travaillait cinq semaines sur un solo, qui ensuite en tirait les cinq notes qui étaient pour lui les plus importantes, et les enregistrait. Eh bien, en cinq notes, il arrivait à dire ce que d'autres ne peuvent pas encore exprimer avec un double album.

On ne devrait pas être forcé d'écouter une heure de musique médiocre pour trente secondes de perfection, d'expression totale. Ecoutez «All Along The Watchtower» et vous comprendrez ce que je veux dire.

Pendant les trois minutes que dure le morceau, pas une note n'est en trop, chaque son a la signification exacte qu'a voulu lui attribuer son auteur.

P. J.:  - Au début, vous étiez seulement deux, pourquoi avoir changé?

T. R.: - On a rajouté une basse pour donner un peu plus d'ampleur à ce que nous faisons, pour augmenter nos possibilités. Dans le dernier disque, nous jouons avec un grand orchestre, violon, etc. C'est dans le même but, mais aussi pour changer un peu. Au début, je ne Jouais pas de guitare électrique, maintenant j'en joue, mais ça ne veut pas dire que c'est définitif.

P. J.: - Voudriez-vous jouer sur scène avec un grand orchestre?              "

T. R.:- Oui, mais pas tout de suite. Dans un an ou deux peut-être. Je veux d'abord que le public nous connaisse bien comme nous sommes maintenant, pour qu'il puisse ensuite assimiler plus facilement la venue d'un orchestre. En tout cas, ce serait uniquement devant un très grand public.

P.J.: -Etes vous tenté par une tournée aux U.S.A.?

T.R.: - Non seulement nous sommes tentés, mais en plus nous avons fait des projets pour y aller vers le mois de mars. Ca ne sera pas la première fois d'ailleurs. L'Amérique est un pays que beaucoup de gens n'aiment pas, je ne comprends pas pourquoi. De toutes façons, la jeunesse est partout la même; et la violence est aussi répandue en France qu'en Grande Bretagne ou qu'aux Etats Unis (toutes proportions gardées, bien entendu).

On a fait tout un cinéma autour d'Altamont, mais ce qui s'est passé là-bas est une chose fréquente à notre époque.

C'est malheureux, je suis d'accord, mais on n'y peut absolument rien, ça arrive quand même, et toute la publicité qu'on en a tirée n'a pas de sens. Hendrix, lui non plus, n'aurait pas dû mourir, et pourtant il est mort ...

Propos recueillis par Pierre JAHIEL.
 
     
No 36, juillet 71    

T.REX à Glasgow (ou la rançon de la gloire)

(Vendredi 21 mai, d'après la chronologie de Cliff McLenehan).


Célèbres depuiS qu'ils ont'changé leur nom imprononçable de Tyrannosaurus Rex en T.Rex, le groupe qui se compose de Steeve Carey à la basse, Mickey Finn aux percussions et, bien sûr, Marc Bolan à la guitare, était à Glasgow hier soir.
J'attendals beaucoup de ce concert, étant un de leurs fans inconditionnels. Mais, dès en pénétrant dans le vieux cinéma poussiéreux qu'est le Green's Playhouse, j'ai failli avoir une crise cardiaque . Vous ne devinerlez pas, pourquoi ? Un gamin de 11 à 12, ans m'est passé entre les jambes. De surprise,j'ai failli me casser les os dans les escaliers. Ce n'était pourtant qu'une entrée en matière.N'ayant pas mon binocle sur mes beaux yeux bleus, je me suis assis paisiblement me disant que j'avais probablement rêvé tout à l'heure. Hélas, mille fois hélas, je ne m'étais point trompé, d'abord le sexe faible assurait la majorité des spectateurs (remarquez, s'il n'y avait que ça, ce n'est pas moi qui m'en plaindrais), mais, de plus, la moyenne d'âge variait entre 12 et 16 ans, à quelques très rares exceptions près. Et alors, qu'elles étalent excitées, Ces minettes ! La raison? D'abord, Marc Bolan est très sexy - c'est du moins ce qu'on m'a dit - et ensuite, le groupe vient d'avoir deux succés dans les hit-parades : "Ride a white swan" et "Hot love" qui est resté trois mois dans les' charts..

Maintenant, retournez par la pensée aux plus beaux jours de la Beatlemania et vous aurez Une petite idée de l'atmosphère qui règne dans la salle. A peine Bolan apparaît-il que la moitié des gamines se pâment, et le reste grimpent sur leurs sièges, avec leurs "hotpants" multicolores bien en vue (ceci étant mon dernier euphémisme!).

Le groupe entame le concert avec "Elemental child". Marc Bolan est particullèrement bon à la guitare wah-wah, Puis un medley incluant «Ride A White Swan" et "One Inch rock". Pour autant qu'il m'était possible d'en juger, c'était légèrement inférieur à la version enreqlstrée.

Puis "Gimme love", très bon morceau très, funky durant lequel Mickey Finn et Steve Carey démontrent leurs grandes qualités d'instrumentistes. Vient ensuite une de leurs "viellles" chansons: "Debora". Toujours aussi bon. Ce morceau met très bien en valeur la voix très caractérlstique de Bolan, parfois mi-râle, parfois mi-soupir. Puis, Marc introduit un morceau qu'il vient d'écrire et qu'il interprète seul à la guitare acoustique. Résultat, vous vous en doutez: persorme n'a entendu par-dessus le vacarme des minettes en folie. Ensuite leur nouveau simple, dont j'ai oublié le titre et dont je n'ai pas entendu grand-chose non plus. Mon cerveau commence à faire une liste d'injures plus grossières les unes que les autres. Un autre morceau suit, je pense qu'il s'agit de "Salamanqa Palaganda", mais je ne vais pas vous le jurer. Ecœuré, je décide de retourner à mes pénates.
Fondamentalement, la musique, c'est toujours le bon vieux rock avec une touche très spéciale apportée surtout par la voix de Marc Bolan, mais aussi par son jeu de guitare et les percussions. Pour le côté scénique, ça se limite à quelques convulsions de Bolan, qui sont d'ailleurs suffisantes pour faire tomber dans les pommes les "teenyboppers" du beau sexe.

Il y a quelques années, paraît-il, Tyrannosaurus Rex, étaient dans la même salle pour un concert (en fait ce n'était que quelques mois plus tôt : jeudi 3 décembre 1970, d'après la chronologie de Cliff McLenehan). La salle était à moitié vide. Pas d'amplis sur scène. Et les gens écoutaient, et entendaient. Alors, adieu Tyrannosaurus Rex ...

Claude BELLOIR.
(correspondant à Glasgow)


 

 
     
     
No 40, nov 71    
 

 

 

 
     
 N° 41, Décembre 71    

Il y a encore un an, il aurait été impensable d'ébaucher un portrait sur Mister Bolan, mais depuis - folks, times are changin' - Tyrannosaurus Rex est devenu T. Rex, il a changé de maison de disques et la guitare de celui qui « est » T. Rex s'est électrifiée; dernière remarque qui n'est pas la moins importante, sa musique s'est ouverte, s'est « commercialisée » et pour une fois dans le bon sens du terme. Résultat (heureux), un succès et une audience extraordinaire puisque (à titre indicatif) cette année, c'est T.Rex qui a vendu le plus de disques en Grande-Bretaqne.

(photo Bary Plummer)

En un an «Ride A White Swan», «Jewels», «Hot Love» et «Get It On » ont assis T. Rex " new look" et " new sound" et fait de Bolan l'idole des tennyboppers (minets) britanniques et même américains, depuis "Get it on ". Bolan est l'homme-portée de T. Rex: c'est lui qui a fondé le groupe, qui l'a porté à bout de bras pendant sa période noire et qui travaillant la wah-wah a forgé le nouveau T. Rex.

On est toujours surpris lorsque l'on rencontre Marc et aussi touché par le côté frêle et presque féminin du personnage. Je parle du personnage, car volontairement ou non Bolan est un personnage. Petit, habillé avec recherche, vaguement précieux, un peu énigmatique, volontaire, Mister Bolan est une espèce de prince charmant version XX· siècle dont l'épée aurait été remplacée par une guitare blanche. Amateur de champagne et de minettes, Bolan n'a qu'une passion : la magie. Il en parle souvent : "J'ai vécu plusieurs années de ma jeune existence à Paris chez un mage qui avait fait de moi son disciple », Cela l'a profondément marqué. Les textes de ses chansons en témoignent. Bolan a toujours spontanément beaucoup plus soigné ses textes que sa musique : "Avec mes textes, je fais passer plus de choses; pour moi, les mots sont plus « magiques" que la musique ». C'est beaucoup mieux ainsi, car l'écriture de Marc, l'une des plus belles de la musique actuelle est pleine de poésie, de candeur, bourrée d'images fraîches et pures avec une place privilégiée réservée à la nature et à l'amour, avec sur tout cela un hâle magique et cosmique et vaguement étrange (cf. "Planet queen » dans son dernier 30 cm). Pour véhiculer ses textes, Bolan a pendant longtemps tissé des mélodies douces ou d'une violence contenue («Deborah») ; on retrouve d'ailleurs encore des mélodies de la même veine dans la production récente du groupe, telles « Girl» ou « Life's A Gas» dans le dernier 33 tours. Mais il y a deux ans - révision déchirante, évolution? - Marc a acheté une guitare électrique et a commencé à jouer "Summertime Blues» - c'est d'ailleurs la MEILLEURE version que je connaisse - mais aussi une musique nouvelle, sauvage, le " kosmic rock », Pendant quelques temps, il partagea encore les concerts du Rex en un moment "acoustique» et un moment "rock»; puis totalement gagné à l'electric guitar, il a presque complètement abandonné la guitare sèche pour devenir l'" Electric Warri or » (le guerrier électrique) comme il le dit lui-même dans son dernier 33 tours. Certes le phrasé, si facilement identifiable, est toujours le même, les mélodies sont toujours aussi accrocheuses, mais l'ensemble est plus habillé, plus coloré. Bolan éprouve, semble t-il de plus en plus le besoin de souligner et d'affirmer sa musique qui fondamentalement tend à devenir plus violente (cf. « Rip Off» ou "One Inch Rock »). Pour ce faire, Bolan s'est récemment adjoint sur scène un bassiste, Steve Carey, qui renforce la rythmique jadis assurée seulement par Mickey Finn, le percussionniste.

Sur disques, cette tendance est encore plus marquée : Bolan utilise désormais une orchestration plus riche, plus variée (trompettes, violons, etc.), des chœurs féminins aussi et même les deux chanteurs des Mothers (ex-Turtles) Howard Kaylen et Mark Volman. Tout compte fait, Bolan me fait penser à Donovan; leur univers artistique, leur évolution et leurs aspirations ont été et sont encore souvent les mêmes. La seule grande différence entre ces deux ménestrels de la pop, c'est que Donovan est plus artiste, plus indépendant que Bolan qui, lui, lorgne peut-être trop vers le "hit» et le succès. Attention Marc! Mais après tout, Donovan n'a jamais eu les problèmes de Bolan. Comment réagirait-il à sa place, lui?

Jean-Marie LEDUC.

 
     
No 56, mars 73    
 
     
     
No 58, mai 73 Best dans ce qu'il a de pire!  

En 1973, la presse Française, qui jusque-là avait regardé T.Rex avec une certaine bienveillance, se déchaîne et lynche Marc Bolan.

BEST, dont le nom dépeint mal sa qualité, recrute un tueur à gage, un second couteau de passage,un tâcheron d'une ignorance crasse. Armé d'un stylo plume à canon scié ses mots sont méchants, mauvais, vicieux, mais aussi... bien naïfs parfois.

30 ans plus tard...Bolan reconnu par la presse musicale dans le monde entier, il doit être bien douloureux de se relire Monsieur Mareska.

 

 

Lorsque le néophyte déboucha de la station de métro Madeleine, une rafale de vent le bouscula, le faisant frissonner de la tête aux pieds. En maugréant il boutonna son duffle-coat, s’orienta quelques instants, il y avait si longtemps qu’il n’était pas venu dans ce quartier, et se dirigea vers les néons qui illuminaient la façade de l’Olympia. Ce mot fit ressurgir en sa mémoire, comme une série d’instantanés, le souvenir de mémorables concerts, les Beatles, puis plus tard les Stones et le beau chahut qui avait suivi le spectacle, le Golf, la Loco, les Who , Daltrey avec ses cheveux courts et une ceinture de cuir à rayures blanches et brunes… Il s’était d’ailleurs acheté la même lors d’un voyage à Londres peu de temps après… Townshend massacrant sa guitare, Keith Moon regardant d’un air navré la batterie qu’il venait de saccager quelques secondes auparavant… Les Yardbirds aussi, Beck penché sur sa guitare, sa belle gueule vérolée luisante sous les spots, Keith Relf soufflant dans son harmonica comme s’il devait mourir dans la minute suivante… Les Kinks et leurs incroyables tenues, Dave Dee et sa clique de folles, avec les incroyables pantalons à carreaux qui se faisaient à cette époque… et les Pretty Things et les Moody Blues, et toute cette ribambelle de formations, maintenant sombrées dans les abysses de l’oubli, avec des noms comme Actions, Créations, Downliner sect, Troggs…

Des passants qui marchaient courbés sous la bourrasque, se retournèrent au passage de ce grand escogriffe barbu, à la démarche traînante et qui chantait… " …With You, I can’t control myself… ". Une fille, mini-manteau de cuir et hautes bottes, ne tenta même pas l’approche du néophyte. Pas du tout genre " client " les jeunes d’aujourd’hui… Avec leur fric ils préfèrent s’acheter leur saleté de drogue… Il faut dire que la demoiselle en question n’était pas très loin de la vérité. Depuis des années le néophyte avait décroché d’avec la musique. Tout comme il avait décroché avec le monde extérieur. Depuis, il vivait dans une sorte de nirvâna comateux, d’où il sortait parfois pour descendre acheter du lait, du papier à cigarettes ou une plaque de chocolat. Les copains qu’il voyait dans sa piaule avaient tous le même visage, les filles le même corps. Seul faire l’amour l’intéressait encore.

Cela durait parfois si longtemps qu’il se demandait s’il n’était pas prisonnier d’un piège kafkaïen qui l’obligerait à répéter les mêmes gestes millénaires jusqu’à son dernier souffle.

Et ce soir, parenthèse dans sa vie, il allait, première fois depuis de nombreuses années, assister à un concert de pop-music. Le nom du groupe qu’il allait entendre lui avait échappé depuis longtemps. Peu lui importait en fait. Il ne connaissait plus personne. Parfois, au cours de conversations, des noms venaient, qui sonnaient de manière nouvelle à ses oreilles… Grand Funk, Blade, ou Slade, ou quelque chose dans le genre, un David quelque chose aussi, dont on parlait avec respect, Roxy Music, ça il s’en souvenait parce que ça sonne bien, Genesis, et bien d’autres…

Le billet, c’était un ami à lui qui lui avait donné en ajoutant : " Ca risque d’être super, ce type a vendu plus de 20 millions de disques, tu te rends compte , 20 millions… ".

Tu parles s’il s’en rendait compte le néophyte… Dans sa tête il chercha combien d’argent représentaient 20 millions de disques, où il pourrait mettre tout ça, combien sa piaule pourrait en contenir… et arrive devant le vaste hall illuminé…

Il remarqua les photomatons, devant lesquels quelques personnes attendaient, des machines à sous, quatre flics qui discutaient calmement. Extirpant son billet froissé de sa poche, il le présenta à un contrôleur habillé comme un musicien de bal de sous-préfecture, qui lui fit remarquer qu’il était en retard.

Avec un haussement d’épaules, le néophyte franchit le passage étroit, grimpa deux volées de marches, et se retrouva dans le noir et le bruit.

A tâtons, il trouva un strapontin, s’y installa et porta son regard sur la scène… Les spectacles de son temps et ceux d’aujourd’hui ont en commun la médiocrité de leur première partie, conclut-il après quelques secondes d’écoute… Sur le plateau, encombré par d’énormes amplis, se démenait comme un beau diable un petit bonhomme grassouillet, et qui tirait de sa guitare un brouhaha sonore entrecoupé de stridences lâchées ça et là, un peu au hasard. Rassuré de ne pas avoir loupé la vedette, le néophyte carra du mieux qu’il put sa carcasse sur le siège inconfortable et s’arma de patience.

En son for intérieur, il se félicita de ne pas être arrivé plus tôt, ce qui l’aurait obligé à supporter toute la première partie. Celle-ci, d’ailleurs menaçait d’être fort longue, car, chaque morceau terminé, le petit bonhomme, après avoir attendu la fin des applaudissements, passait la main dans sa chevelure noire et bouclée, et se lançait dans un long discours, d’où il ressortait qu’il était content d’être en France, de jouer pour le public parisien, etc., etc. et un nouveau morceau redémarrait. L’attitude du guitariste ne manqua pas d’étonner le néophyte. Parcourant la scène à petits pas serrés, le petit bonhomme s’arrêtait parfois en une pose lascive, tendant au public son visage poupin, ou levait une jambe avant de tomber à genoux, pour se relever péniblement quelques secondes après.

A ses côtés, se démenait avec tout autant de bonne volonté un autre individu. Les cheveux longs et raides, il s’agitait sans cesse devant trois énormes tumbas, jonglant parfois, et maladroitement, avec un tambourin, ou soufflant dans un sifflet… Il semblait qu’il existait une certaine connivence entre les deux hommes, car ceux-ci échangeaient fréquemment, tout en jouant, des sourires complices, ou se rapprochaient l’un de l’autre. Un même halo de lumière blafarde les entourait alors , projetant au sol des ombres démesurées.

Derrière eux deux autres musiciens se tenaient. Un batteur, mauvais, lourd, un bûcheron, mais de la race de ceux qui font mal aux arbres en les abattant. Jamais dans le temps, jamais en place…Et pourtant, l’oreille du néophyte n’était plus familiarisée avec le tempo depuis des siècles… Et aussi un bassiste, dont on ne pouvait rien dire, hormis qu’il était le plus grand du groupe… A cette pensée le néophyte sourit dans sa barbe. Il aimait son humour et était sérieusement persuadé qu’il était le seul à saisir tout le sel de ses plaisanteries…

Les morceaux succédaient aux morceaux, le néophyte, tout en suivant d’un œil distrait les évolutions du petit bonhomme en rouge et jaune, tâcha de se rappeler le nom de la formation vedette.

A l’entracte, se dit-il, j’irai jeter un œil sur les affiches. C’est quand même le comble d’assister à un concert, alors qu’on a pas mis les pieds dans une salle de spectacle depuis des années et de ne pas connaître le nom des gens que l’on va voir… Le regard nonchalamment posé sur les cuisses boudinées dans du satin jaune, il peignait sa barbe de ses doigts aux ongles fort longs, creusant sa mémoire, espérant la fin de cet horrible hors-d'œuvre, se promettant à l’avenir (avenir ?…) de regarder les affiches avant d’entrer quelque part…

Lorsque la tignasse noire s’abaissa, accompagnant le geste du bras pour un dernier accord, lorsque les lumières jaillirent, alors que les applaudissements mouraient, le néophyte resta un moment sur son strapontin, hébété, absent. Des jeunes, cheveux à la Gene Vincent et paillettes sur les pommettes, se rhabillaient à côté de lui.

Voyant qu’ils attendaient qu’il quitte son siège pour sortir de la rangée, il se leva et suivit le flot. L’air vif du dehors le frappa au visage… Il chercha des yeux l’affiche, vit les signes peints sur le calicot bleu " T.Rex ".

C’était donc ça T.Rex… Il venait de voir T.Rex, l’homme qui avait vendu 20 millions de disques… T.Rex… T.Rex… Il éclata de rire… Incroyable…

En arpentant à grands pas la rue Daunou pour rentrer chez lui , plus de métro à cette heure-ci, le néophyte, sa crise de fou rire passée, se traita mentalement d’imbécile… Il avait pris pour la première partie le groupe vedette… Il aurait pourtant dû s’en rendre compte tout de suite. Un groupe de première partie n’aurait jamais osé jouer aussi mal, aussi fort… Une heure après, en montant l’escalier graisseux qui menait à sa piaule, il en riait encore…

Jean Mareska.

 

 
 

 


 
     
     
     
     
     

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